lundi 12 avril 2010

Crime et châtiment


J'ai gardé le meilleur pour la fin... Voilà un thème qui a inspiré les peintres de toutes les époques, et le musée d'Orsay n'a pas dû fouiller longtemps dans ses fonds de tiroirs pour trouver de quoi exposer. Tout a commencé avec Adam et Eve, punis de la peine capitale, eux et leurs descendants, pour une mystérieuse pomme. Un préambule universel mais une expo centrée sur la France.

La période choisie va de 1791, où pour la première fois on parle de supprimer la peine de mort, à 1981, date de son abolition. A la boutique, évidemment, les livres de Robert Badinter; mais je les possède déjà et je les ai lus.

Histoire de mettre le visiteur dans le bain, la première salle présente une authentique guillotine, argument imparable qui donne froid dans le dos. Et la deuxième illustre la sanglante période de la Révolution.

Tant d'artistes de tous les courants se sont intéressés aux criminels, aux exécutions, aux prisonniers: un florilège de Goya, Daumier, Rops, Kubin, Moreau, Degas... je cite pêle-mêle et j'en oublie; certains ont fait de la prison : Schiele, Courbet... Choix d'expressionnistes, violents par essence: Grosz, Munch, Rouault... Affiches et couvertures de journaux racoleurs, le crime à la une pour faire vendre. Le tout entrecoupé de textes choisis de Victor Hugo, ardent défenseur de l'abolition. Moulages de têtes de guillotinés, effrayants de...vie. Et puis on nous rappelle les théories fumeuses de la fin du 19ème et leurs dérives, comme la phrénologie (certains traits physiques seraient propres aux criminels); ou les traitements inhumains dans les asiles psychiatriques; ou les mises aux fers et les bagnes... Bref une expo pas très amusante, mais profondément interpellante et salutaire. tant de pays où subsistent torture et peine de mort... Vaste débat, je sais.
Illustration: l'affiche de l'expo, un Géricault
Au musée du Quai d'Orsay

Le Tao


Le chemin me conduisit donc au Grand Palais, Champs-Elysées, où j'espérais enfin être initiée simplement à ce casse-tête que constitue le taoisme. Tao ou Dao, mot qui signifie, je vous le rappelle, voie ou chemin.

A la fois religion, philosophie, mystique, art de vivre et superstition, ce chemin-là est bien ardu à comprendre dans toutes ses ramifications. Ce que nous en retenons surtout, pauvres esprits cartésiens occidentaux, c'est un moyen de développement personnel, à base de diététique, de maîtrise de la respiration et de gymnastique, toutes pratiques qui devraient nous mener à une spiritualité en perte de vitesse. Très à la mode, tai-chi ou médecine chinoise, le tout basé sur l'équilibre entre le yin et le yang.

En fait, pour les Chinois, le taoisme était surtout une quête de l'immortalité. D'où l'intérêt pour la magie ou l'alchimie.

Il faudrait des kilomètres de commentaires pour détailler cette doctrine qui a profondément influencé les Chinois, de même que le confucianisme, auquel le taoisme s'est opposé, puis finalement les deux courants sont devenus complémentaires. Les communistes ont interdit le taoisme et détruit beaucoup de temples et de monastères. Deng Xiaoping a permis de nouveau l'ouverture de certains centres, comme le temple des Nuages Blancs à Pékin, où j'ai assisté à une cérémonie (voir http://travellingteam.blogspot.com/). A Paris, une video retransmet en boucle une "ouverture d'yeux " d'une statue, les prêtres en somptueux costumes. Souvenirs.

Désormais les temples taoistes de Chine sont des centres d'étude ou...des lieux touristiques.

L'exposition présente évidemment de somptueux objets, jades, statues, soieries décorées, calligraphies... provenant surtout du musée Guimet mais aussi de Chine et de ... Dunhuang (voir même blog)

Ivan le terrible




J'ai donc passé ma soirée à regarder la version remasterisée du célèbre film de Sergueï Eisenstein. Tout l'art d'Eisenstein, les effets d'ombre sur les murs, l'utilisation de la lumière et des gros plans; de la couleur aussi, dans la dernière demi-heure de la deuxième partie; le choc du rouge qui surgit tout à coup après deux heures de noir et blanc...
Tout l'art également de Nicolaï Tcherkassov, l'acteur principal, qui s'est fait la tête du portrait d'Ivan par Viktor Vasnetsov (visible à la Galerie Tretiakov à Moscou).
Un peu d'histoire: Eisenstein réalise la première partie de ce film en 1944 et 45, avec l'aval de Staline; film parlant (les premiers films parlants datent de 38) en noir et blanc; la deuxième partie, qui sort en 1946 (6 mois avant la mort du cinéaste), est réalisée en partie en 4 couleurs, avec une pellicule trouvée en Allemagne; mais le film n'a pas l'heur de plaire à Staline car il ne sert pas sa propagande: Ivan est présenté comme une sorte d'Hamlet indécis ou un tyran paranoïaque: il sera censuré jusqu'en 1958 - et je l'ai vu à sa sortie !!! (en ciné club avec l'école, en ce temps-là on nous passait des films difficiles sans qu'on chahute); j'ai été très impressionnée dans ma jeunesse par tous les films d'Eisenstein, et à vrai dire je le suis toujours. La version rénovée est très belle.
Photos: le tableau de Vasnetsov (en couleur), et Tcherkassov, gros plan magistral.

dimanche 11 avril 2010

Sainte Russie







Ne tournons pas autour du pot, pour cette expo, le Louvre a vraiment mis le paquet... espérons que les pièces sont bien protégées et bien assurées...



Expo inaugurée par Medvedev en personne et le couple Sarkosy-Bruni. Au pas de course, comme il convient pour des personnalités de ce niveau. Personnellement, j'ai pris mon temps.
Evidemment, on n'est pas tout seul...mais si on prend le temps on peut voir et apprécier.
L'expo balaie une période qui va des Varègues et premiers Rous jusqu'à Pierre le Grand; autant dire l'ère ante modern de la Russie, super passionnante.
A l'entrée, une maquette de l'institut Smolny de St Pétersbourg; moi qui l'ai vu, je peux dire que les couleurs (ce bleu!) sont fidèles, même si pour obtenir un tel panorama, il faut survoler le site en hélico; j'ai eu la chance d'assister à un concert de musique classique dans l'église de Smolny, et la revoir a remué mon coeur.
Pour le reste, comment résumer ? Des icônes (dont certaines de Roublev), des pièces d'orfèvrerie, des textiles, des objets du culte, les portes de Souzdal (oui !)... Et un fil historique, qui vous mène des premiers contacts avec Byzance à l'épanouissement de l'orthodoxie, en passant par la déferlante mongole et le schisme dse Vieux-Croyants. Bien sûr j'omets des choses, allez donc voir par vous-même, vous ne serez pas déçu.
Musée du Louvre, jusqu'au 24 mai 2010
A la boutique, j'ai flanché pour une video: Ivan le Terrible de Eisenstein, version remasterisée (je n'avais qu'une vieille version dégueu sur cassette); je l'ai visionnée ce soir, je vous promets un compte-rendu demain.

Meijer de Haan, le maître caché


Tout autre chose, ce peintre hollandais oublié, élève et ami de Gauguin, séjournant avec ce dernier au Pouldu, en Bretagne - où il fit un enfant à leur hôtesse, Marie Henry. Avec Gauguin il décora les murs de l'auberge - quel malheur tout cela est perdu après rénovation ... Ami des frères Van Gogh également; tout une époque.

Lorsqu'il fit le projet de partir à Tahiti avec Gauguin, sa famille lui coupa les vivres; il revint à Amsterdam où il mourut prématurément, à l'âge de 43 ans. Il laisse une quarantaine d'oeuvres, pour la plupart dans la collection de Marie Henry.

Après des débuts très classiques dans le style hollandais, il se classe donc dans l'école de Pont Aven. Très belles couleurs et beau coup de pinceau.

Intimiste et pathétique, un air de Van Gogh, Gauguin et Emile Bernard, une expo très lumineuse.

Musée d'Orsay, jusqu'au 20 juin 2010

Les céramiques mochicas











Quand on parle Pérou, on pense immédiatement civilisation inca; c'est ignorer que d'autres civilisations ont précédé celle des Incas, au moins aussi prestigieuses, mais moins bien connues, comme les Nasca, ou les Moche, appelés aussi Mochicas. Qui occupèrent la côte nord du Pérou et une partie de l'Equateur du 1er au 8ème siècle de notre ère. Site le plus connu: le complexe funéraire du Seigneur de Sipan.


Quiconque visite le musée de Lima découvre avec stupéfaction les céramiques de ce peuple étrange, figurant des actes sexuels d'une précision redoutable. Le premier étonnement passé, on écoute le commentaire savant d'un(e) guide qui s'empresse de passer à autre chose. J'avoue n'avoir gardé aucun souvenir de ces explications et l'expo de Paris m'a remise sur les rails.

Première remarque: ces céramiques sont d'une qualité remarquable et dans un état de conservation parfait. Deuxième remarque: malgré leur réalisme cru, ces scènes ne sont pas érotiques mais religieuses; ces pratiques sexuelles étaient destinées à ouvrir les portes de l'autre monde et n'ont rien à voir avec une quelconque pornographie; elles concernent non seulement des humains (souvent des prisonniers)mais des animaux, des squelettes, des sortes de morts-vivants, appartenant à un monde intermédiaire. L'acte sexuel fondateur de vie, comme le sang que faisaient couler les Mayas, est le moteur de l'univers sans lequel il s'effondrerait.

Je n'ai pas la prétention - ni l'espace - de remplacer le commentaire savant qui accompagne et éclaire l'exposition. Il est parfait et ne permet aucune erreur d'interprétation.

Ceci dit, voici quelques exemples parmi d'autres: sexe anal, masturbation, fellation, aucune pratique n'est épargnée. Et les becs verseurs de ces vases à libation font rêver...
Musée du Quai Branly, jusqu'au 23 mai 2010
PS. Public clairsemé, sérieux et averti; quelques ados égarés et attirés par l'affiche, gloussant bêtement; un certain Abdel, dans le livre d'or, avait signé au milieu d'appréciations louangeuses en plusieurs langues: absolument merdique.

Lucian Freud







Pour ceux qui l'ignorent, petit-fils de Sigmund Freud et peintre anglais : l'un des plus chers au monde actuellement; très peu d'oeuvres dans les musées, la plupart dans des collections particulières; par conséquent, chaque exposition est un événement.



La dernière pour moi: à Londres. Pas de surprise dans celle de Paris, pour ainsi dire les mêmes tableaux, mais quels tableaux !



Lucian Freud ne veut pas peindre le beau mais la réalité. Et la réalité n'est pas toujours belle... alors, ça donne des nus aux chairs flasques (et pas des odalisques émouvantes ou des Apollons du Belvédère) ou des vues de son jardin en désordre, d'un réalisme confondant. Avec, il faut bien l'avouer, une touche de génie, et rien à voir avec Constable (dont il copie la précision en obtenant tout à fait autre chose) ou Chardin ou Cézanne (idem). Ses modèles sont ses amis - les pauvres, quelle patience, un tableau dure parfois plusieurs années... - ou lui-même, des autoportraits aux angles inédits.
Ses nus peuvent choquer; il faut y voir une représentation du travail du temps sur la matière. Fascinant. Sortir d'une expo en se disant: c'est laid mais ça dépasse les notions de beauté et de laideur.
Certains l'accusent d'immobilisme (rien de neuf depuis ses débuts, puisque ça paie...), de n'avoir pas vraiment innové (avant lui Egon Schiele ou Otto Dix ou Georges Grosz), de manipuler un public snob; une part de vérité - mais j'ai la faiblesse d'apprécier ce qu'il fait, pour la force et la scénographie. Un ovni figuratif dans l'art contemporain.

Illustrations: un nu (dans les plus sages), le célèbre portrait de la reine Elisabeth, et un autoportrait.
Centre Pompidou, jusqu'au 19 juillet 2010

samedi 10 avril 2010

Meroe


Un plongeon dans le temps, et une expo qui m'a laissée sur ma faim... On annonce 200 pièces, qui en réalité tiennent peu de place ! Evidemment, nostalgie devant les grandes photos de la nécropole de Meroe, et celles plus rares, de la ville - des ruines que j'ai également visitées. Ou de Naga et de Musawarat-es-sofra, les sites perdus dans le désert. Le grand intérêt pour celui qui a vu le musée de Khartoum est de (re)voir les pièces bien présentées avec une explication très complète en français, en compagnie d'objets provenant de Londres ou Berlin. Mais je ne suis pas sûre que ce soit suffisant pour donner envie d'aller au Soudan...

Musée du Louvre, jusqu'au 6 septembre 2010

Takeshi Kitano


Comme certains de mes lecteurs le savent, je reviens de Paris où j'ai fait le plein d'impressions nouvelles. J'ai vu... huit expos et vous n'allez pas en rater une sur ce blog.

Je commence par la plus récréative, Gosse de peintre du japonais Takeshi Kitano.

L'art contemporain est souvent hermétique ou ennuyeux. Rien de tout cela chez Kitano ! Une expo basée sur la fantaisie, la liberté, la moquerie... Des tableaux faussement naïfs et colorés, des petits films d'un humour décalé et débridé se gaussant des clichés à propos du Japon, des installations délirantes pastichant la science, l'histoire, les mathématiques. Exemples: les raisons (fantaisistes) de l'extinction des dinosaures, comment éviter la pendaison, des machines simulant les vents de Bretagne ou d'Alsace, des plans top secret de l'armée japonaise pour transformer les animaux marins en armes dangereuses, des poissons fourrés de sushi pour dénoncer la bio-technologie, et j'en passe. Bref, une expo hilarante prévue au départ pour les enfants et pleine d'adultes qui jouent le jeu.

M'a donné envie de lire la biographie de Kitano, et surtout de voir ses films. Pourvu que Dieu me prête vie tellement le monde est vaste et ma gourmandise insatiable.

Illustration: Kitano regardant son cerveau...

A la Fondation Cartier, boulevard Raspail
Pour en savoir plus: www.takeshikitano.net

jeudi 1 avril 2010

Le symbolisme en Belgique











Une expo que je ne pouvais manquer, vu que c'est une période que j'aime beaucoup et qui a vu l'essor de très grands peintres belges, comme Fernand Khnopff, Léon Spilliaert ou Félicien Rops... D'autres encore, moins connus hors de chez nous, comme Xavier Mellery ou Jean Delville. Et voilà que j'ai découvert un nom que je ne connaissais pas, un certain William Degouve de Nuncques, dont les couleurs sombres et les atmosphères romantiques ont eu l'heur de me plaire.

En pratiquant l'onirisme et l'allégorie, les symbolistes ont préparé le surréalisme; en même temps ils restaient profondément romantiques dans leur approche. En parallèle la littérature belge produisait de grands noms, comme Verhaeren et Maeterlinck.

Pas l'intention de vous dispenser un cours, juste l'occasion de vous faire partager mes coups de coeur; après beaucoup d'hésitation (le choix des oeuvres est cornélien, j'en aime trop), je vous offre L'art ou les caresses, de Khnopff (ne dirait-on pas un Klimt ?), Vertige, de Spilliaert (Ah! Ostende !), et Pornokratès, de l'inclassable Rops. En prime un extrait du Dimanche après-midi, de Van De Woestyne (comme un Gauguin à Laethem St Martin).

Musée royaux des Beaux-Arts, http://www.fine-arts-museum.be/

Expo complémentaire pour les mordus: Van de Woestyne au musée des Beaux-Arts de Gand; très tentant, mais je n'irai pas, pour des raisons que mes lecteurs comprendront à demi-mot.